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Le routard

Le Centre Ados accueille des jeunes dont les troubles psychiques nécessitent un traitement institutionnel soutenu et dont les difficultés de symbolisation appellent à des médiations thérapeutiques. Le projet de soins vise la relance des liens, le soutien aux investissements et des transformations suffisantes à la reprise de leur évolution personnelle.

Un album photo

Dans ce lieu de passage à durée variable pour les adolescents, l’idée a jailli de concevoir un atelier pour les adolescents, qui quittaient le Centre à la rentrée 2011. Émilie Danchin est intervenue de manière à "soigner" leur départ en animant un atelier sur le thème du départ. L’atelier a été à la fois l’occasion d’un apprentissage artistique (photographie argentique NB) et en même temps, prétexte à un travail de deuil et de préparation au départ, au travers de la composition d'un album photo. Pendant l’été, des promenades photographiques ont été organisées pour que les jeunes fassent des photographies et qu'ils fassent un album autour du Centre et du thème de l'atelier. Lors des promenades, ils ont photographié les abords du Centre, le personnel et se sont photographiés entre eux. En réalisant leur album, ils ont créé à la fois une trace, un souvenir effectif de leur passage au Centre et en même temps, un « objet transitionnel » pour passer à autre chose. Les photographies publiées à titre d'illustration ont été prises par Emilie Danchin lors des promenades dans des lieux choisis par les jeunes le long du canal et dans le parc des Etangs et de la Pède à Anderlecht.

Le routard

Emilie Danchin a abordé la notion de départ indirectement. Elle a choisi la chanson de Tonton David « Chacun sa route, chacun son chemin » comme titre et fil conducteur de l’atelier. L’atelier a commencé par un entretien individuel où elle a cherché à mobiliser les jeunes autour de l’image du "routard de leur propre vie" et à les faire réfléchir sur la façon dont ils "cheminent" dans la vie. Cet entretien a bien fonctionné malgré une certaine méfiance au départ. Ayant l’air positivement étonnés par l’aspect ludique et indirect des questions, les jeunes étaient contents. Ils ont déposé librement leurs états d’âme par rapport à la vie, le départ du Centre, le futur, leurs rêves, le destin. Ils ont eu l’air motivés par la perspective de l’atelier. Il y a eu des jolies surprises. Une jeune fille a exprimé qu’elle voulait faire son autoportrait. Une autre démarrait un cours photo en septembre et se réjouissait de s’exercer. Un troisième en avait déjà fait...

Le chemin de vie

Dessiner leur chemin de vie leur a offert un espace de réflexion concrète sur la question du départ et sur leur passage au Centre envisagé globalement dans un chemin de vie plus vaste. Interrogé sur leurs besoins et leurs ressources ("Quelles sont les qualités du routard ?" "Que mets-tu dans ton sac ?" "Préfères-tu voyager seul ou accompagné ?" ...), ils ont parlé de la façon dont ils se débrouillent dans la vie. Répondant à la question "Quelle est ta première qualité de routard de ta vie ?", ils se sont décrits comme des routards "optimiste", "sociable", "doué pour parler aux filles" ou "doué pour s’occuper des animaux" et "drôle". Certains préfèrent voyager seul, d'autres à deux ou encore en groupe. Dans leurs sacs de routard de leur vie, ils mettent des choses variées qui sont autant d’indications sur eux-mêmes, leurs goûts, leurs besoins. "C’est difficile. Si j’ai des vêtements, c’est général, donc, c’est une chose. Donc, des vêtements... Une carte et... je ne sais pas trop. Si je pars... Un GSM !!! pour rester en contact." "Trois choses comme pour l’aventure... Un appareil photo quand même (elle rit), mon téléphone et de quoi me déshydrater !" "Trois choses ? Déjà, ce que je mettrai, c’est de l’eau parce que j’ai soif. Mon portefeuille et mon chat ! J’ai besoin de compagnie. "

À la croisée des chemins

Ils ont expliqué comment ils se sentent lorsqu’ils sont à la croisée de chemins. Ils ont mesuré sur une échelle de zéro à dix à quel point c’est facile ou difficile. "Non pas facile du tout, en fait pour le dessin j’avais une idée et c’était genre une personne qui est debout avec tout plein de chemins [Elle se met à dessiner]. Oui mais je sais pas trop comment je vais faire. Quand je le vois dans ma tête, ça va, mais je ne sais pas trop comment je vais le dessiner... Je voyais plus une personne comme cela qui était debout, qui marchait et de dos... Je voyais ici un chemin qui continuait et encore un chemin, donc un chemin qui continuait comme ça et un autre chemin qui partait par là et puis un autre chemin ici... Souvent, je continue et si ça ne va pas, je reviens sur mes pas... Et je demande souvent des conseils. On va dire 3 !" "Moi ce que je fais, c’est que je demande qu’est-ce qu’il faut prendre ou alors généralement quand je vois un chemin, un chemin d’épines ou un chemin normal, je serai sensé, je vais prendre le chemin où il n’y a pas d’épines ou bien celui qu’on m’a le plus conseillé..." Ou encore ils ont verbalisé comment ils se sentent sur le chemin de leur vie au travers d’une question plus projective "Sur le chemin de ta vie, te sens-tu comme une pierre, du papier, des ciseaux ou une éponge ?". "Je ne sais pas. On va dire... une éponge.... parce que une éponge, ça encaisse bien, donc moi je suis comme ça et fragile à la fois aussi." "Moi je suis papier parce qu’un papier, tu écris quelque chose et tout le monde peut le lire. Je suis quelqu’un qui a le cœur ouvert et donc qui laisse tout le monde apprécier les choses. Avant, il y a pas longtemps, j’étais une personne renfermée, maintenant j’ai changé et je me suis ouverte. » « Une éponge, je suis tout mou mou comme ça, j’ai cette impression. J’ai des maux de ventre et mal de tête".

Le départ

Ils ont pu définir et mesurer ce qui est particulièrement désagréable et agréable lorsque l’on est sur le départ. La tristesse, la solitude, le sentiment d’étrangeté par rapport à la disparition d’un cadre relationnel, la nostalgie ont été évoqués, ainsi que le plaisir de s’entendre dire qu’on nous aime au moment de se dire au revoir, le plaisir de se revoir ou de rencontrer de nouvelles personnes ou encore le contexte même de la séparation suite à une fête ou une dispute qui varie.

Désagréable : "En fait moi j’aime pas trop les séparations tout ça, donc euh... plus le fait de ne plus voir les personnes, donc si je pars du Centre, ça va être bizarre de ne plus les voir tous les matins, de ne plus parler avec eux, donc ça... Donc je ne sais pas, ça dépend des personnes, parfois c’est de la solitude ou la tristesse. Euh... Zéro."
Agréable : "Des choses que tu vas vivre après. On est heureux parce qu’on va rencontrer des nouvelles personnes et puis si on déménage on a une nouvelle maison. 8/10."

Désagréable : "Qu’est-ce qu’il y a de plus désagréable ? De dire au revoir, c’est désagréable... De la tristesse. Quand je suis parti en voyage dans les Ardennes avec le Centre, j’étais très triste. Oui, en rentrant, je pensais encore au lion que j’ai vu. J’ai vu un lion au zoo. .. Sont trop bien (les animaux). Le lion... Bon je vais dessiner ce que tu m’as dit, l’échelle.... (l’échelle des émotions). C’est compliqué les émotions j’en ai toute ma vie...."
Agréable : "Quand on est sur le départ... quand tout le monde vient vers toi te dire "Je t’aime". C’est vrai, je t’aime, au revoir.... Mourir de joie... Ouais, non. Combien je mets quand je pars de quelque part ? Non c’est compliqué, c’est une échelle. Une échelle tu sais c’est compliqué, c’est dur une échelle. Ben c’est vrai, c’est compliqué, tu dois calculer, tu dois deviner... Compliqué !"

Désagréable : "L’au revoir est toujours difficile, le plus désagréable c’est se détacher je pense. Ça me fait penser à ces films avec l’enfant qui a un chien et qui ne peut pas le garder et l’amène dans la forêt à 6 000km. Il va le déposer, il va partir et le chien il va regarder la voiture et bien sûr, il va le chercher ou pas ! Mais sur le moment, c’est le au revoir, c’est comme les bêtes au revoir au téléphone. Non c’est toi qui raccroches ! non c’est toi qui raccroches ! Se détacher ! ... Moi sur le moment si je m’entends très bien avec la personne, de la bonne humeur parce que je me dis on se reverra peut-être plus tard.. Peut-être pas, mais là je me dis qu’on a passé des bons moments à discuter avec la personne et je me dis, c’est pas mal, j’aimerais bien les revoir, y a des bons souvenirs... Moi je me dis, la vie continue ! Les souvenirs, c’est très... pour moi... Je trouve que c’est le plus désagréable mais tout n’est pas désagréable, je mettrai 7/10."
Agréable : "Le plus agréable, c’est après longtemps après quand on y repense. C’est la nostalgie. Se rappeler des bons moments et se dire AAAH et quand on se rappelle ces bons moments et quand on revoit le lieu ou la personne carrément, ça c’est le meilleur moment, mais surtout se rappeler, j’aime bien... Je m’envole dans ma tête.... C’est pas la chose la plus agréable du monde, mais je mettrai 9/10."

Le destin

Cherchant à savoir si la notion de destin faisait sens pour eux, ils ont parlé d’espoir, du fait d‘atteindre un but au sens propre et figuré, de réussir sa vie. Le destin pouvant vouloir dire que les choses sont déterminées d’avance, ils ont exprimé l’importance de pouvoir improviser, choisir, d’avoir une prise sur les événements et d’agir librement.
"Ils disent que le destin c’est quelque chose qui est déjà écrit, alors que c’est nous qu’on choisit. C’est comme le futur, c’est nous qu’on choisit ce qu’on veut devenir." "C’est quoi le destin, c’est autre chose. Je vais te dire un truc, c’est comme l’école. En allant à l’école tu peux aller très loin. Si tu travailles et que tu souffres, parce que tu dois souffrir et travailler, c’est ça que je veux dire, tu dois atteindre le destin, c’est ça le destin, c’est le plus difficile c’est atteindre le destin. Si tu atteins le destin, tu vas avoir beaucoup de choses. Oui, le destin c’est le but à atteindre." "Chacun son truc, chacun sa destinée d’autant que j’ai vu Matrix ; c’est la destinée, c’est genre euh.. y avait des incohérences dans le film mais... Comme je comprends le titre, c’est que chacun sa destinée mais encore faut croire au destin. Moi personnellement, je n’y crois pas trop. J’aime bien avoir un peu le contrôle sur ce que je fais. Je crois au destin dans le sens si on peut le dessiner.... Y a des coïncidences, y a des effets, y a des causes, mais moi je crois pas au destin. J’aime bien improviser, je suis du genre à improviser..."

Le rêve

Les interrogeant sur le rêve, certains ont évoqué des rêves à réaliser dans leur vie, d’autres les rêves nocturnes. Le rêve est apparu comme du pur plaisir ou encore comme quelque chose de scientifique qui n’a pas réellement de signification. "Oui, un rêve ça peut être un objectif, du genre il y a des personnes qui aimeraient bien devenir plus riches à force de travailler et ça fait un rêve quoi... et parfois, les rêves ne sont pas réalisables, donc cela dépend de quoi tu rêves. (As-tu un rêve en particulier ?) Euh, oui, en fait, c’est juste que j’aimerais bien avoir une grande maison et tout ça et une famille et... des enfants." "Moi ? Oh à quoi je pense ? a quoi je pense la nuit ? Je ne sais pas à quoi je pense... Un rêve, c’est du plaisir. Ben j’ai pas tort, je dis ce que je pense, c’est tout... Un rêve c’est s’envoler et oui, c’est puissant... Oui je vois ce que tu veux dire, les rêves quand on pense à ce que tu vas faire, ce qu’on sera." "Un rêve ? Moi je vois les choses par leur côté plus technique, plus que le côté poétique ou imagination, moi je regarde le contraire, le côté sciences et tout ça. Moi je me dis tout simplement les rêves, pour moi cela n’a pas réellement de signification parce quelles rêves (ce que j’ai entendu) c’est tout ce qui s’est passé dans la journée, ce que tu as entendu, vu, senti, tout ça, qui et.. c’est comme si t’étais dans une entreprise et tu voyais des gens passer avec des dossiers et qui classaient tout et le rêve ça se mélange, comme ça.. Voilà c’est le classement, c’est comme ça que ça se passe..."

En route

Le jour de leur départ du Centre, Émilie Danchin les a revus individuellement pour regarder l’album. Regarder et commenter l’album a permis d’orienter la discussion sur l’atelier ("Qu’as-tu pensé de l’atelier ?"), puis sur l’album ("Que penses-tu de ton album ?") et naturellement sur leur départ ("Es-tu content de partir avec un album ?"). À partir de là, ils ont parlé de leur départ, de ce qu’ils faisaient le lendemain et pour la majorité, de leurs appréhensions. Émilie Danchin leur a demandé de choisir trois photos préférées par rapport au thème de l’atelier afin qu'ils se saisissent de l’image du routard avant de les quitter. Elle a également valorisé leur apprentissage artistique et relevé leurs ressources singulières pour cheminer dans la vie. Un seul d’entre eux a décidé de laisser son album au Centre, les autres ont choisi de l’emporter dans leur sac.

Et ça donne chacun sa route, chacun son chemin, chacun son rêve, chacun son destin. Dites-leur que chacun sa route, chacun son chemin, passe le message à ton voisin... Et ça donne...

  • Il était question durant l’été 2011, à partir de l’outil photographique, de célébrer cet événement majeur autant qu’inédit pour le Centre comme pour les jeunes et de mettre les adolescents en partance au travail autour de la question du deuil et de la séparation. Bref, nous souhaitions prendre soin du départ de ces 6 jeunes après des séjours de plusieurs mois à deux années. Abordant le thème par des chemins de traverse ludiques, Émilie Danchin a proposé de partir de la chanson Chacun sa route, chacun son chemin composée et interprétée par Tonton David, comme titre et fil conducteur du projet. Ponctuées par des entretiens individuels d’entame et de finalisation de projet, les différentes "promenades photographiques" en groupe qui constituèrent le noyau de l’atelier furent autant d’occasions d’évocations d’états d’âmes relatifs au départ du Centre, à la séparation du groupe (des jeunes et des professionnels), aux projets futurs (rêvés, réalistes et programmés), à sa propre histoire (passée, présente et à venir). Les deux entretiens formalisés qui bordèrent ces errances concrétisèrent des espaces d’élaboration soutenus par des médiations diverses autour de l’image du "routard de sa propre vie". Questionnés sur leurs besoin et ressources de routard, les adolescents se sont livrés sur la manière dont ils se débrouillent de façon générale dans la vie. L’ensemble de ce périple figure à l’état de trace dans un album photo dont les six participants au projet sont les auteurs et qui formalise, donne forme à leur départ. Cet album constitue à la fois un souvenir effectif de leur passage au Centre et, dans le même mouvement, un objet transitionnel pour en amortir le départ et pouvoir passer à autre chose.

    Bastien Paternotte, coordinateur, Centre Ados, hôpital de jour pour adolescents